Je suis rentré lessivé. La Fashion Week m’a pompé jusqu’à la dernière molécule de lucidité.
Des jours à sourire, trinquer, commenter des tenues trop grandes ou trop transparentes.
Mais bon, j’ai signé avec Maison Kitsuné pour les aider à relancer leur gamme accessoires.
J’essaie de vendre du cool. Et parfois, ça paie.
Mes potes, eux, sont partis chercher l’été ailleurs. Lisbonne, Cannes, Biarritz, peu importe tant qu’il y a du sel dans l’air. Moi, je suis resté. Seul, mais avec un plan.
Tomber amoureux. Juste le temps d’un week-end. Un engagement éphémère, sans promesses, mais avec tendresse.
Jouer au couple sans faire semblant. Ralentir.
Elle était là. Celle dont je vous parle sans la nommer depuis des semaines.
Vendredi, j’ai pris les devants. Je l’ai invitée chez Shana, planqué dans une ruelle du 2e. Un restaurant à la croisée des mondes.
Chef étoilé, mezze raffinés, lumière tamisée. Des bougies partout.
On était assis côte à côte, dans une pièce étroite remplie de flacons et de promesses. Pas besoin de connaître le staff : ici, les serveurs jouent en une-deux avec ton charme.
Elle était sublime. Pas spectaculaire, sublime. Une élégance qu’on devine, pas qu’on expose. Les mots sont venus vite. Les rires aussi.
Moi, je faisais semblant de grignoter. Drôle de réflexe : j’avais crevé de faim toute la journée, mais impossible d’avaler. Stress du date.
Alors j’ai picoré. Shawarma qui fond, aubergine miso, cigare frit. Je m’en souviendrai plus tard, à 3h du matin, ventre vide, sourire plein, le portefeuille moins.
Samedi, changement de tempo. J’ai hésité. J’ai failli rester affalé sur mon canapé à attendre un texto d’un pote revenu trop tôt de week-end.
Et puis mon père m’a proposé un déjeuner. La Petite Chaise, la plus vieille auberge de Paris. Une adresse d’habitués, trop chic pour les guides, trop discrète pour les touristes.
On y allait souvent quand j’étais môme. Les nappes blanches, les oeufs mayo bien dressés, le saumon gravlax et ce turbot au citron que ma mère commandait toujours.
Elle est arrivée en robe noire, comme d’habitude, lunettes dans les cheveux, sac en cuir souple. Elle m’a embrassé deux fois, comme si on ne s’était pas vus depuis des mois.
Spoiler, on a dîné ensemble lundi dernier.
Mon père, lui, plus discret. Toujours tiré à quatre épingles. Architecte de formation, devenu promoteur. L’élégance d’un homme qui sait exactement ce que vaut chaque centimètre carré de cette ville.
Je les quitte à regret. Enfin non, pas vraiment. J’ai chopé une place pour visiter la maison Gainsbourg.
Un exploit digne d’un braquage : ça part en quelques minutes, comme une sortie de Yeezy époque bénie.
Merci maman pour l’alerte Calendly.
J’y vais seul. Ça me semble logique. On ne visite pas Gainsbourg en bande. Et puis, c’est personnel. C’est lui que j’ai découvert entre deux vinyles de mes parents. Lui qui a rendu l’arrogance presque élégante, le cynisme poétique, et la débauche… musicale.
La voix de Charlotte guide la visite. Un murmure, presque un souffle. Un truc entre la fragilité et le pouvoir. C’est sensuel sans vouloir l’être. Je traverse les pièces, et je me fais traverser.
Par les souvenirs. Par l’idée de l’artiste total. Par cette époque où les artistes fumaient des Gitanes en chantant des poèmes aux douaniers.
Je ressors avec cette sensation rare d’avoir touché quelque chose d’intime. D’universel. D’indescriptible.
Je m’installe au bar. Classieux, feutré. On dirait que même le temps y parle en alexandrins.
Un verre de blanc. Pas pour trinquer. Pour prolonger.
Je recommande, mais pas trop fort. Ça reste mieux quand c’est rare.
Je rentre. Je me dis que je vais faire une sieste.
La sieste se transforme en glissade. Je m’endors avec l’idée de lire. Je me réveille avec la trace de l’oreiller sur la joue.
Mon téléphone vibre.
- « Allô Lino ? »
- « It’s midnight. »
Rien à répondre. L’argument est imparable.
James et sa bande d’Anglais sont déjà en orbite. Ils m’attendent. Le non n’existe pas dans son vocabulaire. Et je m’y fais.
Direction le REX.
Le REX… La première fois que j’y ai mis les pieds, j’avais encore de l’acné. Ce lieu est un sanctuaire pour tous les enfants de la nuit.
Rénové, oui, mais l’âme est intacte. Ce soir, Craig Richards et un prodige uruguayen, Nicolas Lutz. Je ne retiens jamais leurs noms, mais eux retiennent les nôtres.
Une claque. Ils jouent des morceaux qu’aucun Shazam ne peut décrypter. C’est précis, c’est mental, c’est tribal. Je repense à Electrochoc, le livre de Laurent Garnier. Si vous ne l’avez pas lu, lisez-le.
Dimanche, les yeux en vrac, l’envie quand même.
Je retrouve Dany, mon Brésilien préféré. Rue Mouffetard. Une rue qui vit comme elle parle : avec les mains.
On chope un sandwich à la rôtisserie Segar. Poulet rôti, sauce César, parmesan, chips de peau de poulet. C’est si bon que ça en devient indécent. On s’assoit, on respire, on parle de tout sauf de Lundi.
Puis on remonte vers la Seine.
Les ponts nous regardent passer.
Le soleil joue les prolongations.
Je commence à croire que le week-end est fini.
Et là, une vibration.
Pas une notification.
Une sensation.
Elle.
“A quand mon tour de t’inviter?”
...